Jean Alain Parisot

 

Je m’appelle Jean-Alain Parisot, je suis né à Souk-Ahras le 25 septembre 1943, chez mon grand-père maternel le docteur Jean Mougeot, qui était médecin rue de Krémissa rebaptisée plus tard rue Général Leclerc. Mon père était officier aviateur et moura en février 1945 à Biskra son avion s’étant écrasé. J’ai donc passé toute mon enfance chez mes grands-parents. Ceux ci possédaient une maison de campagne à Ain-Seynour, qu’ils avaient faite construire dans les années 30. Elle était située dans la descente qui partait du centre du village et menait à la ferme des Thiberville ( je n’ai jamais su si cette rue portait un nom, elle n’était pas goudronnée mais empierrée), c’était la deuxième maison sur le coté gauche en descendant, un champ abandonné la séparait de la ferme qui faisait l’angle de la rue et de la grande route.  Construite au centre d’un terrain carré de 2500 m², elle se composait d’une salle  à manger, d’une cuisine, de deux chambres et d’une salle d’eau ; un garage formait l’angle supérieur du terrain avec la route. Nous y passions un mois pendant les grandes vacances d’été et venions presque tous les jeudis et dimanches pendant l’année. Aux beaux jours nous arrivions dans la matinée et y déjeunions.

 Notre jardinier s’appelait Younis, il était très gentil et nous l’aimions bien. Son seul défaut était un goût poussé pour le vin, quand l’envie était trop forte il prenait alors une cuite, mais même sous l’emprise de l’alcool, il ne se montra jamais agressif ou irrespectueux. Célibataire il avait un frère dont la famille habitait une mechta au-dessus du village en direction du col de l’avion (un avion s’était à ce qu’on m’avait dit, écrasé un jour de brouillard il y a bien longtemps). Peu respectueux du coran, il ne faisait pas le jeune pendant le ramadan et fermait le rideau du garage pour manger les repas accompagnés d’un verre de vin que ma grand-mère lui donnait tout l’été. Dans la matinée, mon frère et moi cassions la croûte avec lui, il sortait de sa besace un morceau de kessra et nous prenions des tomates dans le jardin. Nous partagions parfois un morceau de cigarette que nous fumions en cachette. Mon grand-père avait coutume de lui apporter à chaque venu un paquet de Bastos bleue.

L eau était le problème de l’été, certaines années, elle n’était ouverte que quelques heures par jour et il fallait faire des provisions. Les autres, elle était rationnée et le fontainier monsieur Cazelli, venait avec sa grande clef en croix mesurer le débit. Pour ce faire, il ouvrait le robinet du garage en grand, mesurait la quantité d’eau avec un litre en aluminium dans la main droite et le temps avec sa montre de gousset dans la main gauche. Un autre souci était les sangsues qui colonisaient le réservoir du village, aussi traitait-il régulièrement. Ce traitement tuait les sangsues qui partaient dans les canalisations et les bouchaient. Nous allions alors le chercher, il ouvrait la pression en grand et toute une masse encore grouillante de ces bêtes sortait alors du robinet.

Avec l’été commençait la saison des incendies, le garde forestier monsieur Carli veillait du haut de sa colline au-dessus du village, et sonnait la corne à la première fumée. Tous les hommes du village devaient partir au feu séance tenante. C’était particulièrement éprouvant car à la chaleur de l’été s’ajoutait celle du foyer. C’est après avoir combattu un incendie que notre voisin monsieur Thiberville est décédé d’une insolation. Notre Younis n’aimait guère cet exercice et essayait de se défiler, mais monsieur Carli l’avait à l’œil et a plusieurs reprises les gendarmes de Laverdure à cheval sont venus le chercher pour le mettre quelques jours en prison en raison ses manquements à ses devoirs civiques.

Au début des années 50, nous n’avions pas de réfrigérateur, nous utilisions alors une glacière en bois et zinc qu’il fallait alimenter une fois par jour d’un pain de glace que nous donnait aimablement monsieur Vernet le directeur de la colonie de vacance des cheminots. Mon grand-père étant médecin des Chemins de Fer Algériens allait chaque soir visiter le centre de vacance pour soigner les malades et les éclopés de la journée à cette occasion monsieur Vernet faisait déposer dans le coffre de la voiture un pain de glace.


 

Les distractions étaient des plus simples, le plus souvent nous courrions la campagne quand il ne faisait pas trop chaud avec notre copain Henri Vincent, notre tire-boulette à la main ou bien nous attrapions des chardonnerets avec de la glue. Parfois Octave nous emmenait visiter ses troupeaux dans la montagne, il montait une jument aubère avec un barda, Henri et mon frère Robert, mon cadet de 14 mois, chevauchaient une mule et je suivais sur un bourricot nommé Cadichon que nous avaient acheté mes grands-parents.

De temps en temps Monsieur Vernet organisait une soirée cinéma à la colonie de vacance.

Octave et Paulette avaient la gentillesse de nous y emmener, nous nous y rendions à pied les voitures automobiles étaient rares à l’époque, le trajet ne nous paraissait pas trop long, nous y retrouvions une partie des habitants du village. La séance se passait sous un préau en plein air les soirées étaient douces. Je me souviens avoir vu « les  disparus de saint Agile ».

Après les orages de septembre, nous allions ramasser les champignons, les rosés dans les pâturages et les cèpes et les oronges dans la forêt au-dessus de Roissy.

Quand une bête malade (vache ou génisse) mourait, elle restait où elle était tombée ; avec la chaleur la décomposition était rapide et une odeur pestilentielle se dégageait du cadavre, qui selon les vents et la proximité du village nous parvenait. Heureusement les grands vautours au cou dénudé se chargeaient du nettoyage, les cercles qu’ils décrivaient dans le ciel nous indiquaient l’emplacement de la charogne et en quelques jours il ne restait plus que les os.

Quand la nuit tombait, elle venait assez tôt entre 19 heures et 20 heures,  retentissaient les glapissements des chacals qui commençaient leurs chasses, ils se répondaient d’un bout à l’autre du Rez-goun et parfois une hyène y ajoutait sa plainte.

Ain-Seynour c’était aussi les demoiselles Rouget, Edmée et Adrienne qui avaient leur ferme au centre du village, la source où l’on allait s’approvisionner en eau, les plumages colorés des  chasseurs d’Afrique qui se tenaient tout l’été sur les lignes électriques.