CHEOUX-DAMAS Robert et Christiane

65700 VILLEFRANQUE

Tél. : 05.62.96.38.24

                               Cher Henri,

                Surprise totale. Une réunion des anciens d’Ain Seynour je n’y comptais plus. Organisée par Henri Vincent, encore moins car quand j’ai quitté le village, tu n’étais pas grand. Je me souviens mieux de ta grande sœur Geneviève qui, elle, commençait à parler et à courir. Peut être as-tu d’autres frères et sœurs mais je ne sais pas. Quant à ta cousine Anne Marie, c’est sans doute la fille de Mimi Lavigne, agriculteur (sur la route des fermes entre Souk Ahras et Ain Seynour) et chasseur de sangliers. Elle avait aussi un frère !

                Si tout va bien, je compte bien me rendre à Valence le 28 septembre.

                En attendant, voici quelques renseignements sur la famille et quelques souvenirs.

                Nous sommes arrivés à Ain Seynour le 26 septembre 1930. Mon jeune frère avait juste un an. Mon père a pris en charge le bureau de Poste en qualité de Facteur Receveur. Ma mère, comme presque toutes les femmes de l’époque, était mère au foyer (on disait qu’elle était à la maison). Ils avaient trois enfants :

-          Ma sœur Fany née en 1926

-          Moi Robert né en 1927

-          Et André né le 26 septembre 1929.

A l’époque, la Poste était au centre du village, en contre bas de la route nationale, entre les deux granges Calleja. C’est là qu’habitaient les Caselli après la construction du nouvel ensemble Poste Mairie.

Nous avons été tous les trois scolarisés à l’école du village que j’ai quittée pour ma part en 1939 en même temps que Denise Fauré, Jeannine Pallier et Charlot Carli. Les institutrices : Mlle Zamit, Mlle Rayon (Hélène), Mlle Sauvere (Yvonne), Mlle Conangle (Fernande). Nous étions une vingtaine d’élèves dont deux arabes Kateb Salah dit Grand Salah et Thyr Salah dit Petit Salah.

De mon temps (ça fait très histoire ancienne) le village n’était pas une commune de plein exercice mais dépendait de la commune mixte de la SEFIA dont le siège était à LAVERDURE. Il y avait donc un adjoint spécial et un conseiller mais l’autorité était surtout détenue par l’administrateur. J’ai connu

-          Adjoints : M. Arrou Joseph, M. Pallier Louis, M. Millet Auguste

-          Conseillers : M. Millet Auguste, M. Rouget Octave.

La population :

Les non agriculteurs étaient :

-          L’institutrice et le postier, déjà vus,

-          Le garde champêtre M. Divani Marius avec trois enfants Maryse, Suzy et Gérard ( ?).

-          Le garde forestier, en 1930 M. Dépévetti (à qui mon père a acheté sa première voiture, une Torpédo Citroën) très vite remplacé par M. Carli Jean père de Pierrette, Charles, François et Baptiste.

-          Le chef cantonnier M. Méli Joseph quatre enfants Noël, François, Gilbert et un peu après Gérard. Il avait remplacé M. Loissier.

-          Le chef de gare M. Grether deux enfants Rolande, élevée par sa grand-mère dans la région de Bône et Lucien qui faisait quatre fois par jour le trajet gare école en compagnie des enfants Pallier (de ?????? des mollets). Il a été remplacé par M. Castagna qui avait une fille scolarisée après ma sortie de l’école et dont j’ai oublié le prénom.

-          Du viaduc, un employé du C.F.A en 1930, M. Pullis en 1939, M. Ferlando deux ou trois enfants dont une petite Marie Jeanne et Paulo.

Pour les on fonctionnaires :

-          Madame Jaulin morte vers 1935-36 à 82 ou 83 ans. Une toute petite femme voûtée qui marchait avec une canne, toujours un foulard sur la tête. Elle habitait à mi-route de l’école et elle nous remplissait de terreur. Nous la prenions un peu pour une sorcière, aussi personne n’oubliait de lui dire bonjour quand elle était devant sa porte (en principe les gosses disaient bonjour à tous les adultes en enlevant le béret). Elle était pourtant bien brave (elle m’avait une grenade un jour où j’avais dû aller lui faire une commission) quand je constate que j’approche de son âge, je pense que nous l’avions « sorciérisée » un peu vite. Très méfiante pourtant. Quand elle recevait une lettre, elle la faisait lire à mon père (elle ne savait pas lire) et tout de suite après, elle allait voir M. Louis pour avoir confirmation. Elle a un moment élevé un petit fils, Albert, bon en vélo mais rien d’autre.

-          Louis Vincent que nous appelions M. Louis accidenté du travail (chute de cheval) il avait la colonne vertébrale abîmée et marchait tout raide. Mais là tu dois en savoir plus que moi.

Quand en 1940, faute d’essence, mon père a dû racheter une jument, il a acheté le foin sue pied du champ de M. Louis (¼ Ha) qu’avec mon frère nous avons rentré dans un hangar chez Madame Jaulin. Il nous tardait tellement d’avoir un cheval que nous étions prêts pour les travaux d’Hercule (en toute modestie). Après le débarquement anglo-américain, en 1942, l’école d’agriculture où j’étais, a été prise par les anglais et je suis rentré à la maison. Là pendant deux ans, j’ai loué à ta tante Emilienne le jardin et le pré dont elle avait hérité et je vendais quelques légumes pour me faire un peu d’argent de poche (la mode n’était pas d’arracher les sacs aux vielles dames).

-          La famille Faure. Le père, Basile, mort lorsque j’avais cinq ou six ans, quatre enfants, Yvonne, Henri, Paul et Denise qui avait mon âge, mas je suis allé en classe avec les trois derniers. Ils habitaient en contrebas de la route, à la sortie du village vers Souk Ahras.

Ils avaient un oncle Claude, célibataire, qui travaillait aux Ponts et Chaussées, mort vers 1937-38 ?

Et un autre, Célestin, ingénieur au Gouvernement Général à Alger. Il était le notable. Il avait souvent des bonbons dans les poches pour les gosses qu’il croisait quand il était en vacances au village.

Le café du village :

Propriété Kessler mais tenu par Madame Lory que tout le monde appelait Madame Gilles. En plus du bistrot, elle avait une trentaine de vaches « qui ne devaient rien à personne » et un vieux berger qui n’avait jamais mis de chaussures de sa vie (on l’appelait Hafiène). Quand il marchait sur une ronce ou un chardon, il l’enlevait et repartait sans boiter. Il était le père d’Ali et de Rebnia qui étaient devenus les piliers de la maison après la mort de Madame Gilles. C’est une de ses filles, Thérèse, qui a pris sa suite. Elle s’était chargée de la distribution des denrées contingentées pendant la guerre (sucre, café, huile…). Elle vivait avec une des sœurs Lolotte, toujours malade. Madame Gilles avait eu aussi d’autres enfants dont la première Madame Arrou, mère de Jeannette et de Renée et Nenette qui épousa M. Gauci, Directeur de la banque à Souk Ahras après la mort de sa sœur, la première Madame Gauci, mère de Nana (il faut suivre). Il y avait aussi un fils, Lucien, militaire de carrière recyclé dans la banque après sa retraite proportionnelle.

A côté du café, habitait André Raucaz, époux de Marthe Vincent et père de Francette mais là tu connais.

Entre chez M. Louis et l’école, une belle villa. C’était la famille Bugea, tissus et confection à Souk Ahras qui venait passer ses repos au village (tu connaissais peut-être Filhol, le gendre successeur. Ils avaient une grosse Renault (viva stella je crois) qui montait la côte de l’école avec toute la famille dedans comme une gazelle. Les écoliers étaient émerveillés de tant de puissance.

En bas de la route nationale, on trouvait la famille Caselli. Le père, cantonnier du village et sa femme (Rosette) avec leurs six enfants, dans l’ordre Jean (Jeannot) qui travaillait aux Chemins de fer. Evelyne (Liline) dans les bureaux militaires à Souk Ahras. Lucien (Lulu) militaire de carrière. Blanche (Blanchou) un peu plus âgée que a sœur Yvonne (Vonnette) à peu près de mon âge et Gildas. J’ai côtoyé à l’école les quatre derniers.

Les trois hommes étaient des chasseurs redoutables.

Plus bas, la villa du Docteur Mougeot. C’était un médecin de Souk Ahras qui passait des fins de semaine au village. Deux enfants, Miriem et Bernard (dentiste paraît-il). En face de chez Mougeot une grande maison, construite par M. Calabria Henri (villa Les Hortensias) juste après notre arrivée. Il a vendu sa ferme à M. Pallier pour habiter au village tout en exploitant des terres vers le Sud.-Est à Tifech. Il avait deux enfants : Yvette, mal voyante de naissance qui vit à Montréjeau et Roger (3 à 5 ans de plus que moi) très vite parti sur la ferme de Tifech (mort depuis quelques années déjà).

Dans la maison Calabria logeaient les Palluel. Le père était retraité des Chemins de Fer. Trois enfants, Claudius qui a passé quatre ou cinq ans comme prisonnier en Allemagne. Lucie et bien plu jeune, Georges, à peu près de notre âge (André et moi). Après la guerre, Claudius a été affecté à l’entretien du dernier tronçon de la voie ferrée jusqu’à la frontière tunisienne, ce qui m’a donné l’occasion d’y passer quelques jours avec Georges. Au début de la guerre, M. Calabria a vendu sa ferme à M. Latrille, un agriculteur de la pleine de Bône qui ventait que sa nombreuse progéniture passe les vacances « au bon air ». Tu dois mieux connaître la suite que moi.

En dessous de la maison Calabria, un agriculteur Rocaz Alfred, marié trois filles, Lucette, Marcelle et Eliane mais il est mort relativement jeune et tout le monde est parti à Souk Ahras. C’est Octave Rouget qui a acheté la maison.

Pour rester dans le secteur, la dernière maison du village sur la route du viaduc était la maison Kessler. Le propriétaire était le père qui vivait à Souk Ahras et la gestion de la ferme était assurée par l’un des fils, Eugène, qui s’est marié assez tard avec une autrichienne qui avait un fort accent et qui savait changer les lampes d’un poste T.S.F et faire de la photographie ! Elle a quitté le village un peu avant la guerre et Eugène a été porté « disparu » pendant la guerre. C’est le père Kessler qui est venu habiter à la ferme. Il avait repris une tournée laiterie sur Souk Ahras avec une voiture et deux juments. Vu l’anarchie qui régnait dans les transports, mon père s’était arrangé avec M. Kessler et le courrier postal partait et arrivait avec la charrette du lait. Après la guerre c’est un autre fils qui a pris l’exploitation. Divorcé, il avait une fille, Hélène, élevée par ses grands parents que l’on voyait très peu.

 

On va continuer avec les colons (à l’époque ce n’était pas une insulte).

En remontant de chez Kessler, de la maison Calabria à la route nationale. C’était le domaine d’Octave Rouget. C’est sans doute lui qui avait le plus de bonnes mais c’est lui qui vendait le plus de foin. Il n’avait pas « la fibre éleveur ». Un hiver particulièrement rigoureux il a perdu une quarantaine de veaux, mort de faim et de misère. Comme mon père lui faisait remarquer que c’était un S… de laisser des bêtes dans cet état il lui a répondu : « j’en vends, il en crève et j’en ai de plus en plus que je n’arrive pas à nourrir ». Tant que nous étions au village, il vivait avec ses sœurs Adrienne, un peu pète-sec et Edmée, plus douce. J’ai appris qu’il avait épousé Paulette Fauré mais là c’est toi qui me raconteras peut être la suite.

                Au milieu du village, entre la route nationale et la route de Roissy, la maison Arrou Joseph, éleveur, maquignon qui comme nous l’avons vu avait deux filles d’un premier mariage : Jeanette et Renée (mortes à ce jour sans descendance) et une autre fille, Michelle, un peu plus jeune que mon frère André. Mariée à un militaire (Amiral) elle a eu deux enfants. Un garçon et une fille. Je l’ai revu une fois en France mais ma sœur à peut être son adresse si tu ne l’as pas. La mère de Michelle, Antoinette Colombani, fille d’un ancien chef cantonnier du village était une femme enjouée qui nous emmenait à la ferme (en haut de chez vous) en nous faisant chanter.

Monsieur Arrou est mort en 1941 je crois et sa femme en 45 ou 46. Ce sont les deux aînées qui ont terminé l’éducation de Michelle que nous appelions Michette. Les Arrou pour nous ont été une bénédiction. Dès notre arrivée, M. Arrou a mis à notre disposition un jardin en partie irrigable. Il prenait la journée, dans son troupeau de la ferme, une vache nous appartenant et il m’a même prêté une fois sa jument « Ginette » pour aller voir, avec un copain de passage, les restes de l’avion anglais qui s’était écrasé pendant la guerre. Et même, après mon certificat d’études, mon père m’a acheté une génisse que M. Arrou a envoyé dans une de ses fermes vers Souk Ahras, il l’a gardé le temps qu’elle mette bas et la vendue (quatre fois le prix d’achat. J’ai acheté un vélo et mis mille francs à la Caisse d’Epargne).

Quant à Madame Arrou, comme j’étais maigre et un peu chétif, pour m’encourager à manger, elle me donnait de temps en temps quatre cuillères de crème pour que je me fasse un peu de chantilly…

Avant que nous quittions le village, la ferme Arrou était louée à M. Legris, propriétaire de l’ancienne ferme Pallier et beau frère de M. Latrille.

                En face de chez M. Arrou, la maison avec une grande terrasse et une pergola, c’était chez « MILLET ». En réalité, seul Auguste, l’agriculteur s’appelait encore Millet. Il vivait avec ses deux sœurs veuves Mme Boulet et Mme Faure qui avait trois enfants : René et Paulette devenue vers le tard Mme Rouget et une fille mariée à Saint Joseph mère de Jean Buatoit que tu dois connaître. Il avait une étable et une cour toujours très bien tenues (rien à voir avec l’écurie d’Octave).

                A l’angle de la route de l’école et de la route de Roissy (en face de la Poste) la famille Petit. Le père Joseph, un rouspéteur qui jurait en arabe mais qui nous a appris à jouer à la belotte et sa femme qui avait bien du mérite à le supporter. Plusieurs enfants, mais au village, j’ai surtout connu Joseph, qui exploitait une ferme en bas du village. Auguste qui avait été gérant de ferme je crois et qui est revenu au village lorsqu’il a été trop malade pour travailler et le plus jeune, Maurice, qui travaillait aux Ponts et Chaussées avant son départ au service militaire, qui a été prisonnier en Allemagne et est revenu un peu avant notre départ.

Joseph qui s’était marié pendant la guerre, est mort au moment de la naissance de son fils. Je pense que Maurice a pris la suite de la ferme. Joseph avait appris le métier de forgeron maréchal ferrant. Quand il forgeait, pour nous, c’était le cinéma. Il nous arrivait d’être embauchés pour tourner la turbine à air. Il nous a quelques fois ferré la jument. Avec son père, c’étaient deux formidables chasseurs.

                Voilà pour le village, voyons les écarts.

               Chez Maurice Vincent qui a longtemps vécu avec sa sœur Lucienne. Là, tu as sans doute plus de détails que moi. Quand le dimanche nous allions à l’eau de Seltz et que les mères s’arrêtaient pour parler avec Lucienne, nous allions inspecter la collection de voitures hippomobiles stockées en bas de l’étable. Quant ton père a été mobilisé en 39, il a du vendre 99 vaches et mon père en acheté une que nous avons gardée jusqu’à notre départ (c’est André Rocaz, qui faisait un retour à la terre, qui nous l’a reprise) une année aussi, pour les foins, ton père n’était pas là (mobilisé encore une fois) j’ai andainé avec notre jument. Pour couper le travail, vers 16h, j’avais droit à une pause café avec ta mère et

Francette.

               Plus bas, vers la gare, la ferme Pallier, ancienne ferme Calabria déjà vue ; trois enfants : Roger mort accidentellement vers 14-15 ans. Jeannine, ma conscrite avec Denis Fauré et Jean Louis (Jeannot que tu dois connaître). Jeannine et moi avons fait toute l’école communale et la première communion ensemble. Le curé était le père Castel remplacé par le père Lefranc. A noter que cette année là (1938 ?) la première communion a eu lieu à Ain Seynour car il y avait aussi deux Carli, peut être Vonnette et Lucien Grether alors que ma sœur et mon frère ont dû aller à Laverdure.

La ferme Pallier était la seule exploitation où il y avait une production de vin importante et une cave.

Au début des années 40, la ferme a été vendue à M. Moulin qui, ayant perdu sa femme, a assez vite revendu à M. Legris (qui nous a vendu, pas trop cher, un magnifique Anglo-arabe Alezan qui nous a permis tout un été, d’épater les estivants).

               Reste, sur la route de Souk Ahras à cinq kilomètres, la ferme Sibue. Une fille, mariée je ne sais où et à la ferme, en plus de la mère, Edouard, un costaud inébranlable, Elyse qui sortait peu et Léontine, une affranchie qui montait à cheval et n’avait pas froid aux yeux.

D’origine savoyarde, de vivre en ferme sans doute, ils avaient gardé l’accent du pays et ils élevaient des montbéliardes et non pas des tarentaises comme tout le monde.

               En face de chez Sibué, à deux kilomètres dans les coteaux, une ferme exploitée par M. Rocaz dit Mitou. Je crois que son vrai nom était Edouard. Il avait succédé à la famille Mongavero qui eux élevaient des cochons en forêt et des chèvres pour faire du Broccio que nous appelions broutene. La cour de ferme sentait fort.

               Voilà en gros ce dont je me souviens pour la population étant entendu que pour Mon Auberge, tu n’as pas besoin de mes souvenirs (Mme Cauffopé étant la belle sœur de M. Pallier, trois enfants : Guy qui s’est fixé au Canada. Pierrot et Paulette dont je ne sais pas grand-chose).

               Arrivons aux détails plus personnels. Lors de notre arrivée en 1930, ce n’était plus le Moyen Age mais ça n’était pas encore les temps modernes. Il y avait déjà quelques autos et le téléphone à la Poste. L’électricité est arrivée vers 34-35 ? Je me souviens avoir vu construire le transformateur et placer les lignes. Nous nous éclairions avec deux lampes à pétrole. L’une pour le bureau de Poste (mais elle était à nous) et l’autre pour la cuisine. Nous faisions donc des devoirs bien bien serrés au bout de la table et dès que mon père avait fini sa comptabilité, il ramenait sa lampe et ça devenait féerique.

Pour l’eau, il fallait aller la chercher à une fontaine de l’autre côté de la route du viaduc (face à l’écurie d’Octave). Il y en avait une autre (de fontaine) en bas de la route de l’école (contre chez Millet) et une dans la cour de l’école. Il y avait aussi un abreuvoir et un lavoir vers chez vous. Pou nous cela a duré jusqu’à ce que l’on intègre la Poste neuve où là, il y avait l’électricité, l’eau à l’évier et à la buanderie et un cabinet avec chasse d’eau (au lieu d’une guérite dans le jardin, aussi bien avec la neige qu’avec le sirocco).

Pour le chauffage, le bois. Le premier hiver fut paraît il terrible. Comme nous venions d’arriver, nous n’avions pas de réserve. Le chêne vert mouillé brûle très mal. La situation aurait été désespérée si Eugène Kessler, pris de pitié, ne nous avait pas vendu cinq stères de bois sec (dans la vieille Poste, il y avait un tuyau pour la cuisinière et une petite cheminée – pas de risque de chatouiller la couche d’ozone).

En 44 ou 45, j’ai « débardé » vingt stères de bois de la forêt à la route de Roissy avec un mulet prêté par l’armée que j’ai ensuite amenés au village avec ma jument, la charrette de M. Petit et les harnais de ton père… C’était très coopératif.

Avant la guerre de 39, nous avions le réfrigérateur à pétrole et le poste T.S.F qui ne servait pratiquement que pour les informations…

Pour le ravitaillement, nous étions favorisés. Ma sœur prenait des leçons de piano, mon père allait à Souk Ahras le jeudi et le dimanche et par un arrangement plus ou moins licite, le boulanger de Souk Ahras apportait notre pain à la Poste et il arrivait chez nous dans le sac du courrier (je peux le dire il y a prescription).

Pour les loisirs, nous faisions avec rien : cache-cache, gendarmes et voleurs, à partir de 38, nous jouions à la guerre et l’été, au foot dans la prairie de ton père, après les égouts de Mon Auberge. Paulo Faure était le goal. Plus grand, quelques fois Charlot Carli, lui sur Négro, moi sur Bayard, nous faisions une balade à cheval (avant et après le pur sang, nous ne pouvions pas vu que je n’avais que des juments !). L’été aussi, nous avions le cinéma du camp des petits cheminots où l’on a vu tous les Charlot muets.

Pour les évènements d’Algérie, j’ai eu ma petite part. Au départ, mai 45, j’étais à la maison pour quelques jours (j’étais stagiaire, magasinier, parfois pointeur au domaine de Monville à Duzerville). Lorsqu’un matin, vers trois heures, l’Administrateur de Laverdure M. Raymond est arrivé à la Poste avec une dizaine de fusils de guerre type canne à pêche pour en distribuer aux hommes valides. (Les fusils de chasse avaient été enlevés « officiellement » sous Pétain mais tout le monde avait le sien) en signalant que les arabes se soulevaient et qu’il fallait être prêts à se défendre. Dès le café bu, avec Georges Palluel, chacun avec un fusil, nous sommes montés à la carrière, en haut de l’école, afin de signaler tout mouvement suspect. En trois jours de garde, nous avons intercepté un homme en noir qui venait calmement vers le village. Nous sommes allés à sa rencontre, le fusil pointé pour lui demander ses papiers. Il n’en avait pas (nous non plus) et c’était Karfa, un gars d’une cinquantaine d’années, borgne, qui venait souvent au village. Nous l’avons fouillé. Il n’avait rien mais il s’est couché sur le flanc pour nous demander pourquoi nous faisions cela. Il a eu la peur de sa vie. Bons princes, nous l’avons laissé partir. Nous n’avons pas été décorés.

Après, c’est devenu plus sérieux. Le 11 août 55 j’ai été nommé adjoint technique du paysannat à Collo et le 20 août à midi, en allant de l’hôtel au restaurent, en short et chemisette (le revolver et le fusil de chasse dans la voiture dans la cour de l’hôtel) je me suis trouvé dans le soulèvement du Nord constantinois. J’ai vu d’assez près quelques fellaghas qui n’ont pas tiré ! Comme il était impossible de circuler, deux mois après, j’ai été muté dans un secteur calme… à Tabcat. Là, en quinze mois, 117 morts par embuscades (Sakamody et autres lieux). De la forêt et des virages, j’avais bien mon pistolet et une mat 49 prêtée par la commune (devenue sous préfecture) mais je changeais les amortisseurs de ma 203 tous les 8 ou 10 000 kilomètres.

En 58, j’ai été propulsé à Djelfa, je suis devenu Ingénieur des travaux agricoles et j’ai pris ensuite la Direction de la station d’élevage ovin de admit, entre Pjelfa et Laghouat (13 kilomètres de piste à partir de la nationale, deux oueds à traverser sans ponts, téléphone coupé) trois couples d’européens, un peuple de bergers et ouvriers cousins des oued naïls et une quinzaine de militaires pour la sécurité. Pendant six mois, la force armée a été 100% musulmane…

D’octobre 61 à juillet 62, j’étais à la station de Kroubs où l’indépendance nous a cueillis. Nous avons pu embarquer à Bougie avec la voiture et la chienne loup, trois valises, la machine à coudre et le transistor. J’ai dû laisser le pistolet en Algérie. Il me manque encore.

En arrivant en France, en 62, j’ai été nommé dans le Lot, département d’origine de mes grands parents maternels. En 68, j’ai pu obtenir un poste à la DDA des Hautes Pyrénées (département d’origine de mon père, né en France et arrivé en Algérie en 1922 à Chabet Elameur, village natal de ma mère). En 1979, ayant été promu Ingénieur Divisionnaire, j’ai été muté à la DDA des Pyrénées Atlantiques à Pau et j’ai pris ma retraite en 1990. Nous habitons actuellement à Villefranque dans les Hautes Pyrénées mais dans la plaine, alors que mon frère habite Sainte Marie de Campan, lieu d’origine des Cheoux, dans la montagne.

Si j’ai cette maison avec quelques terres et quelques bois, c’est grâce à mon séjour à Collo. Ayant vu le soulèvement de 55 et les réactions qui ont suivi, j’ai, dès ce moment, été convaincu que nous partirions d’Algérie. Aussi, l’été suivant, j’ai cherché quelque chose et j’ai trouvé cette petite propriété pour à peu près le prix d’une Peugeot 403 dont j’avais envie. J’ai été assez sage pour considérer que ma 203 était encore bonne pour le service et j’ai acheté la ferme.

Je ne sais pas si tu vas trouver quelque chose d’intéressant dans tout cela, mais j’ai au moins fait preuve de bonne volonté.

Voici des adresses :

G. CHEOUX 192 bis rue Vaugirard 75015 Paris

M. et Mme CHEOUX DAMAS André 65710 Sainte Marie de Campan

Je pourrais te donner les adresses de Jean Louis Pallier ou de Jean Buatois mais tu dois les avoir. Ma sœur a peut être l’adresse de Michelle Arrou.

Je finis un peu en vitesse car demain, 24 juillet, je dois me faire opérer le canal carpien de la main droite et je serai pendant quinze jours complètement impotent.

Avec ta cousine, je vous félicite de votre courage pour entreprendre une telle affaire et à Valence j’espère.