CHEOUX-DAMAS Robert et Christiane
65700 VILLEFRANQUE
Tél. : 05.62.96.38.24
Cher
Henri,
Surprise
totale. Une réunion des anciens d’Ain Seynour je n’y comptais plus. Organisée
par Henri Vincent, encore moins car quand j’ai quitté le village, tu n’étais pas
grand. Je me souviens mieux de ta grande sœur Geneviève qui, elle, commençait à
parler et à courir. Peut être as-tu d’autres frères et sœurs mais je ne sais
pas. Quant à ta cousine Anne Marie, c’est sans doute la fille de Mimi Lavigne,
agriculteur (sur la route des fermes entre Souk Ahras et Ain Seynour) et
chasseur de sangliers. Elle avait aussi un frère !
Si tout va
bien, je compte bien me rendre à Valence le 28 septembre.
En attendant,
voici quelques renseignements sur la famille et quelques souvenirs.
Nous sommes
arrivés à Ain Seynour le 26 septembre 1930. Mon jeune frère avait juste un an.
Mon père a pris en charge le bureau de Poste en qualité de Facteur Receveur. Ma
mère, comme presque toutes les femmes de l’époque, était mère au foyer (on
disait qu’elle était à la maison). Ils avaient trois enfants :
-
Ma sœur Fany née en 1926
-
Moi Robert né en 1927
-
Et André né le 26 septembre 1929.
A l’époque, la Poste était au centre du
village, en contre bas de la route nationale, entre les deux granges Calleja.
C’est là qu’habitaient les Caselli après la construction du nouvel ensemble Poste
Mairie.
Nous avons été tous les trois scolarisés à
l’école du village que j’ai quittée pour ma part en 1939 en même temps que
Denise Fauré, Jeannine Pallier et Charlot Carli. Les institutrices : Mlle
Zamit, Mlle Rayon (Hélène), Mlle Sauvere (Yvonne), Mlle Conangle (Fernande).
Nous étions une vingtaine d’élèves dont deux arabes Kateb Salah dit Grand Salah
et Thyr Salah dit Petit Salah.
De mon temps (ça fait très histoire ancienne)
le village n’était pas une commune de plein exercice mais dépendait de la
commune mixte de la SEFIA dont le siège était à LAVERDURE. Il y avait donc un
adjoint spécial et un conseiller mais l’autorité était surtout détenue par
l’administrateur. J’ai connu
-
Adjoints : M. Arrou Joseph, M. Pallier Louis, M. Millet
Auguste
-
Conseillers : M. Millet Auguste, M. Rouget Octave.
La population :
Les non agriculteurs étaient :
-
L’institutrice et le postier, déjà vus,
-
Le garde champêtre M. Divani Marius avec trois enfants Maryse, Suzy
et Gérard ( ?).
-
Le garde forestier, en 1930 M. Dépévetti (à qui mon père a acheté
sa première voiture, une Torpédo Citroën) très vite remplacé par M. Carli Jean
père de Pierrette, Charles, François et Baptiste.
-
Le chef cantonnier M. Méli Joseph quatre enfants Noël, François,
Gilbert et un peu après Gérard. Il avait remplacé M. Loissier.
-
Le chef de gare M. Grether deux enfants Rolande, élevée par sa
grand-mère dans la région de Bône et Lucien qui faisait quatre fois par jour le
trajet gare école en compagnie des enfants Pallier (de ?????? des
mollets). Il a été remplacé par M. Castagna qui avait une fille scolarisée
après ma sortie de l’école et dont j’ai oublié le prénom.
-
Du viaduc, un employé du C.F.A en 1930, M. Pullis en 1939, M. Ferlando
deux ou trois enfants dont une petite Marie Jeanne et Paulo.
Pour les on fonctionnaires :
-
Madame Jaulin morte vers 1935-36 à 82 ou 83 ans. Une toute petite
femme voûtée qui marchait avec une canne, toujours un foulard sur la tête. Elle
habitait à mi-route de l’école et elle nous remplissait de terreur. Nous la
prenions un peu pour une sorcière, aussi personne n’oubliait de lui dire
bonjour quand elle était devant sa porte (en principe les gosses disaient
bonjour à tous les adultes en enlevant le béret). Elle était pourtant bien
brave (elle m’avait une grenade un jour où j’avais dû aller lui faire une
commission) quand je constate que j’approche de son âge, je pense que nous
l’avions « sorciérisée » un peu vite. Très méfiante pourtant. Quand
elle recevait une lettre, elle la faisait lire à mon père (elle ne savait pas
lire) et tout de suite après, elle allait voir M. Louis pour avoir
confirmation. Elle a un moment élevé un petit fils, Albert, bon en vélo mais
rien d’autre.
-
Louis Vincent que nous appelions M. Louis accidenté du travail
(chute de cheval) il avait la colonne vertébrale abîmée et marchait tout raide.
Mais là tu dois en savoir plus que moi.
Quand en 1940, faute d’essence, mon père a
dû racheter une jument, il a acheté le foin sue pied du champ de M. Louis (¼
Ha) qu’avec mon frère nous avons rentré dans un hangar chez Madame Jaulin. Il
nous tardait tellement d’avoir un cheval que nous étions prêts pour les travaux
d’Hercule (en toute modestie). Après le débarquement anglo-américain, en 1942,
l’école d’agriculture où j’étais, a été prise par les anglais et je suis rentré
à la maison. Là pendant deux ans, j’ai loué à ta tante Emilienne le jardin et
le pré dont elle avait hérité et je vendais quelques légumes pour me faire un
peu d’argent de poche (la mode n’était pas d’arracher les sacs aux vielles
dames).
-
La famille Faure. Le père, Basile, mort lorsque j’avais cinq ou six
ans, quatre enfants, Yvonne, Henri, Paul et Denise qui avait mon âge, mas je
suis allé en classe avec les trois derniers. Ils habitaient en contrebas de la
route, à la sortie du village vers Souk Ahras.
Ils avaient un oncle Claude, célibataire,
qui travaillait aux Ponts et Chaussées, mort vers 1937-38 ?
Et un autre, Célestin, ingénieur au
Gouvernement Général à Alger. Il était le notable. Il avait souvent des bonbons
dans les poches pour les gosses qu’il croisait quand il était en vacances au
village.
Le café du village :
Propriété Kessler mais tenu par Madame Lory
que tout le monde appelait Madame Gilles. En plus du bistrot, elle avait une
trentaine de vaches « qui ne devaient rien à personne » et un vieux
berger qui n’avait jamais mis de chaussures de sa vie (on l’appelait Hafiène).
Quand il marchait sur une ronce ou un chardon, il l’enlevait et repartait sans
boiter. Il était le père d’Ali et de Rebnia qui étaient
devenus les piliers de la maison après la mort de Madame Gilles. C’est une de
ses filles, Thérèse, qui a pris sa suite. Elle s’était chargée de la
distribution des denrées contingentées pendant la guerre (sucre, café, huile…).
Elle vivait avec une des sœurs Lolotte, toujours malade. Madame Gilles avait eu
aussi d’autres enfants dont la première Madame Arrou, mère de Jeannette et de
Renée et Nenette qui épousa M. Gauci, Directeur de la banque à Souk Ahras après
la mort de sa sœur, la première Madame Gauci, mère de Nana (il faut suivre). Il
y avait aussi un fils, Lucien, militaire de carrière recyclé dans la banque
après sa retraite proportionnelle.
A côté du café, habitait André Raucaz, époux
de Marthe Vincent et père de Francette mais là tu connais.
Entre chez M. Louis et l’école, une belle
villa. C’était la famille Bugea, tissus et confection à Souk Ahras qui venait
passer ses repos au village (tu connaissais peut-être Filhol, le gendre
successeur. Ils avaient une grosse Renault (viva stella je crois) qui montait
la côte de l’école avec toute la famille dedans comme une gazelle. Les écoliers
étaient émerveillés de tant de puissance.
En bas de la route nationale, on trouvait la
famille Caselli. Le père, cantonnier du village et sa femme (Rosette) avec
leurs six enfants, dans l’ordre Jean (Jeannot) qui travaillait aux Chemins de
fer. Evelyne (Liline) dans les bureaux militaires à Souk Ahras. Lucien (Lulu)
militaire de carrière. Blanche (Blanchou) un peu plus âgée que a sœur Yvonne
(Vonnette) à peu près de mon âge et Gildas. J’ai côtoyé à l’école les quatre
derniers.
Les trois hommes étaient des chasseurs
redoutables.
Plus bas, la villa du Docteur
Mougeot. C’était un médecin de Souk Ahras qui passait des fins de semaine au
village. Deux enfants, Miriem et Bernard (dentiste paraît-il). En face de chez
Mougeot une grande maison, construite par M. Calabria Henri (villa Les
Hortensias) juste après notre arrivée. Il a vendu sa ferme à M. Pallier pour
habiter au village tout en exploitant des terres vers le Sud.-Est à Tifech. Il
avait deux enfants : Yvette, mal voyante de naissance qui vit à Montréjeau
et Roger (3 à 5 ans de plus que moi) très vite parti sur la ferme de Tifech
(mort depuis quelques années déjà).
Dans la maison Calabria logeaient
les Palluel. Le père était retraité des Chemins de Fer. Trois enfants, Claudius
qui a passé quatre ou cinq ans comme prisonnier en Allemagne. Lucie et bien plu
jeune, Georges, à peu près de notre âge (André et moi). Après la guerre,
Claudius a été affecté à l’entretien du dernier tronçon de la voie ferrée
jusqu’à la frontière tunisienne, ce qui m’a donné l’occasion d’y passer
quelques jours avec Georges. Au début de la guerre, M. Calabria a vendu sa
ferme à M. Latrille, un agriculteur de la pleine de Bône qui ventait que sa
nombreuse progéniture passe les vacances « au bon air ». Tu dois
mieux connaître la suite que moi.
En dessous de la maison
Calabria, un agriculteur Rocaz Alfred, marié trois filles, Lucette, Marcelle et
Eliane mais il est mort relativement jeune et tout le monde est parti à Souk
Ahras. C’est Octave Rouget qui a acheté la maison.
Pour rester dans le secteur,
la dernière maison du village sur la route du viaduc était la maison Kessler.
Le propriétaire était le père qui vivait à Souk Ahras et la gestion de la ferme
était assurée par l’un des fils, Eugène, qui s’est marié assez tard avec une
autrichienne qui avait un fort accent et qui savait changer les lampes d’un
poste T.S.F et faire de la photographie ! Elle a quitté le village un peu
avant la guerre et Eugène a été porté « disparu » pendant la guerre.
C’est le père Kessler qui est venu habiter à la ferme. Il avait repris une
tournée laiterie sur Souk Ahras avec une voiture et deux juments. Vu l’anarchie
qui régnait dans les transports, mon père s’était arrangé avec M. Kessler et le
courrier postal partait et arrivait avec la charrette du lait. Après la guerre
c’est un autre fils qui a pris l’exploitation. Divorcé, il avait une fille,
Hélène, élevée par ses grands parents que l’on voyait très peu.
On va continuer avec les
colons (à l’époque ce n’était pas une insulte).
En remontant de chez Kessler, de la maison
Calabria à la route nationale. C’était le domaine d’Octave Rouget. C’est sans
doute lui qui avait le plus de bonnes mais c’est lui qui vendait le plus de
foin. Il n’avait pas « la fibre éleveur ». Un hiver particulièrement
rigoureux il a perdu une quarantaine de veaux, mort de faim et de misère. Comme
mon père lui faisait remarquer que c’était un S… de laisser des bêtes dans cet
état il lui a répondu : « j’en vends, il en crève et j’en ai de plus
en plus que je n’arrive pas à nourrir ». Tant que nous étions au village,
il vivait avec ses sœurs Adrienne, un peu pète-sec et Edmée, plus douce. J’ai
appris qu’il avait épousé Paulette Fauré mais là c’est toi qui me raconteras
peut être la suite.
Au
milieu du village, entre la route nationale et la route de Roissy, la maison
Arrou Joseph, éleveur, maquignon qui comme nous l’avons vu avait deux filles
d’un premier mariage : Jeanette et Renée (mortes à ce jour sans
descendance) et une autre fille, Michelle, un peu plus jeune que mon frère
André. Mariée à un militaire (Amiral) elle a eu deux enfants. Un garçon et une
fille. Je l’ai revu une fois en France mais ma sœur à peut être son adresse si
tu ne l’as pas. La mère de Michelle, Antoinette Colombani, fille d’un ancien
chef cantonnier du village était une femme enjouée qui nous emmenait à la ferme
(en haut de chez vous) en nous faisant chanter.
Monsieur Arrou est mort en 1941 je crois et
sa femme en 45 ou 46. Ce sont les deux aînées qui ont terminé l’éducation de
Michelle que nous appelions Michette. Les Arrou pour nous ont été une
bénédiction. Dès notre arrivée, M. Arrou a mis à notre disposition un jardin en
partie irrigable. Il prenait la journée, dans son troupeau de la ferme, une
vache nous appartenant et il m’a même prêté une fois sa jument
« Ginette » pour aller voir, avec un copain de passage, les restes de
l’avion anglais qui s’était écrasé pendant la guerre. Et même, après mon certificat
d’études, mon père m’a acheté une génisse que M. Arrou a envoyé dans une de ses
fermes vers Souk Ahras, il l’a gardé le temps qu’elle mette bas et la vendue
(quatre fois le prix d’achat. J’ai acheté un vélo et mis mille francs à la
Caisse d’Epargne).
Quant à Madame Arrou, comme j’étais maigre
et un peu chétif, pour m’encourager à manger, elle me donnait de temps en temps
quatre cuillères de crème pour que je me fasse un peu de chantilly…
Avant que nous quittions le village, la
ferme Arrou était louée à M. Legris, propriétaire de l’ancienne ferme Pallier
et beau frère de M. Latrille.
En
face de chez M. Arrou, la maison avec une grande terrasse et une pergola,
c’était chez « MILLET ». En réalité, seul Auguste, l’agriculteur
s’appelait encore Millet. Il vivait avec ses deux sœurs veuves Mme Boulet et
Mme Faure qui avait trois enfants : René et Paulette devenue vers le tard
Mme Rouget et une fille mariée à Saint Joseph mère de Jean Buatoit que tu dois
connaître. Il avait une étable et une cour toujours très bien tenues (rien à
voir avec l’écurie d’Octave).
A
l’angle de la route de l’école et de la route de Roissy (en face de la Poste)
la famille Petit. Le père Joseph, un rouspéteur qui jurait en arabe mais qui
nous a appris à jouer à la belotte et sa femme qui
avait bien du mérite à le supporter. Plusieurs enfants, mais au village, j’ai
surtout connu Joseph, qui exploitait une ferme en bas du village. Auguste qui
avait été gérant de ferme je crois et qui est revenu au village lorsqu’il a été
trop malade pour travailler et le plus jeune, Maurice, qui travaillait aux
Ponts et Chaussées avant son départ au service militaire, qui a été prisonnier
en Allemagne et est revenu un peu avant notre départ.
Joseph qui s’était marié pendant la guerre,
est mort au moment de la naissance de son fils. Je pense que Maurice a pris la
suite de la ferme. Joseph avait appris le métier de forgeron maréchal ferrant.
Quand il forgeait, pour nous, c’était le cinéma. Il nous arrivait d’être
embauchés pour tourner la turbine à air. Il nous a quelques fois ferré la
jument. Avec son père, c’étaient deux formidables chasseurs.
Voilà pour le
village, voyons les écarts.
Chez
Maurice Vincent qui a longtemps vécu avec sa sœur Lucienne. Là, tu as sans
doute plus de détails que moi. Quand le dimanche nous allions à l’eau de Seltz
et que les mères s’arrêtaient pour parler avec Lucienne, nous allions inspecter
la collection de voitures hippomobiles stockées en bas de l’étable. Quant ton
père a été mobilisé en 39, il a du vendre 99 vaches et mon père en acheté une
que nous avons gardée jusqu’à notre départ (c’est André Rocaz, qui faisait un
retour à la terre, qui nous l’a reprise) une année aussi, pour les foins, ton
père n’était pas là (mobilisé encore une fois) j’ai andainé avec notre jument. Pour
couper le travail, vers 16h, j’avais droit à une pause café avec ta mère et
Francette.
Plus
bas, vers la gare, la ferme Pallier, ancienne ferme Calabria déjà vue ;
trois enfants : Roger mort accidentellement vers 14-15 ans. Jeannine, ma
conscrite avec Denis Fauré et Jean Louis (Jeannot que tu dois connaître).
Jeannine et moi avons fait toute l’école communale et la première communion
ensemble. Le curé était le père Castel remplacé par le père Lefranc. A noter
que cette année là (1938 ?) la première communion a eu lieu à Ain Seynour
car il y avait aussi deux Carli, peut être Vonnette et Lucien Grether alors que
ma sœur et mon frère ont dû aller à Laverdure.
La ferme Pallier était la seule exploitation
où il y avait une production de vin importante et une cave.
Au début des années 40, la ferme a été
vendue à M. Moulin qui, ayant perdu sa femme, a assez vite revendu à M. Legris
(qui nous a vendu, pas trop cher, un magnifique Anglo-arabe Alezan qui nous a
permis tout un été, d’épater les estivants).
Reste,
sur la route de Souk Ahras à cinq kilomètres, la ferme Sibue. Une fille, mariée
je ne sais où et à la ferme, en plus de la mère, Edouard, un costaud
inébranlable, Elyse qui sortait peu et Léontine, une affranchie qui montait à
cheval et n’avait pas froid aux yeux.
D’origine savoyarde, de vivre en ferme sans
doute, ils avaient gardé l’accent du pays et ils élevaient des montbéliardes et
non pas des tarentaises comme tout le monde.
En
face de chez Sibué, à deux kilomètres dans les coteaux, une ferme exploitée par
M. Rocaz dit Mitou. Je crois que son vrai nom était Edouard. Il avait succédé à
la famille Mongavero qui eux élevaient des cochons en forêt et des chèvres pour
faire du Broccio que nous appelions broutene. La cour de ferme sentait fort.
Voilà
en gros ce dont je me souviens pour la population étant entendu que pour Mon
Auberge, tu n’as pas besoin de mes souvenirs (Mme Cauffopé étant la belle sœur
de M. Pallier, trois enfants : Guy qui s’est fixé au Canada. Pierrot et
Paulette dont je ne sais pas grand-chose).
Arrivons
aux détails plus personnels. Lors de notre arrivée en 1930, ce n’était plus le
Moyen Age mais ça n’était pas encore les temps modernes. Il y avait déjà
quelques autos et le téléphone à la Poste. L’électricité est arrivée vers
34-35 ? Je me souviens avoir vu construire le transformateur et placer les
lignes. Nous nous éclairions avec deux lampes à pétrole. L’une pour le bureau
de Poste (mais elle était à nous) et l’autre pour la cuisine. Nous faisions
donc des devoirs bien bien serrés au bout de la table et dès que mon père avait
fini sa comptabilité, il ramenait sa lampe et ça devenait féerique.
Pour l’eau, il fallait aller
la chercher à une fontaine de l’autre côté de la route du viaduc (face à
l’écurie d’Octave). Il y en avait une autre (de fontaine) en bas de la route de
l’école (contre chez Millet) et une dans la cour de l’école. Il y avait aussi
un abreuvoir et un lavoir vers chez vous. Pou nous cela a duré jusqu’à ce que
l’on intègre la Poste neuve où là, il y avait l’électricité, l’eau à l’évier et
à la buanderie et un cabinet avec chasse d’eau (au lieu d’une guérite dans le
jardin, aussi bien avec la neige qu’avec le sirocco).
Pour le chauffage, le bois. Le
premier hiver fut paraît il terrible. Comme nous venions d’arriver, nous n’avions
pas de réserve. Le chêne vert mouillé brûle très mal. La situation aurait été
désespérée si Eugène Kessler, pris de pitié, ne nous avait pas vendu cinq
stères de bois sec (dans la vieille Poste, il y avait un tuyau pour la
cuisinière et une petite cheminée – pas de risque de chatouiller la couche
d’ozone).
En 44 ou 45, j’ai
« débardé » vingt stères de bois de la forêt à la route de Roissy
avec un mulet prêté par l’armée que j’ai ensuite amenés au village avec ma
jument, la charrette de M. Petit et les harnais de ton père… C’était très
coopératif.
Avant la guerre de 39, nous
avions le réfrigérateur à pétrole et le poste T.S.F qui ne servait pratiquement
que pour les informations…
Pour le ravitaillement, nous
étions favorisés. Ma sœur prenait des leçons de piano, mon père allait à Souk
Ahras le jeudi et le dimanche et par un arrangement plus ou moins licite, le
boulanger de Souk Ahras apportait notre pain à la Poste et il arrivait chez
nous dans le sac du courrier (je peux le dire il y a prescription).
Pour les loisirs, nous
faisions avec rien : cache-cache, gendarmes et voleurs, à partir de 38,
nous jouions à la guerre et l’été, au foot dans la prairie de ton père, après
les égouts de Mon Auberge. Paulo Faure était le goal. Plus grand, quelques fois
Charlot Carli, lui sur Négro, moi sur Bayard, nous faisions une balade à cheval
(avant et après le pur sang, nous ne pouvions pas vu que je n’avais que des
juments !). L’été aussi, nous avions le cinéma du camp des petits
cheminots où l’on a vu tous les Charlot muets.
Pour les évènements d’Algérie,
j’ai eu ma petite part. Au départ, mai 45, j’étais à la maison pour quelques
jours (j’étais stagiaire, magasinier, parfois pointeur au domaine de Monville à
Duzerville). Lorsqu’un matin, vers trois heures, l’Administrateur de Laverdure
M. Raymond est arrivé à la Poste avec une dizaine de fusils de guerre type
canne à pêche pour en distribuer aux hommes valides. (Les fusils de chasse
avaient été enlevés « officiellement » sous Pétain mais tout le monde
avait le sien) en signalant que les arabes se soulevaient et qu’il fallait être
prêts à se défendre. Dès le café bu, avec Georges Palluel, chacun avec un
fusil, nous sommes montés à la carrière, en haut de l’école, afin de signaler
tout mouvement suspect. En trois jours de garde, nous avons intercepté un homme
en noir qui venait calmement vers le village. Nous sommes allés à sa rencontre,
le fusil pointé pour lui demander ses papiers. Il n’en avait pas (nous non
plus) et c’était Karfa, un gars d’une cinquantaine d’années, borgne, qui venait
souvent au village. Nous l’avons fouillé. Il n’avait rien mais il s’est couché
sur le flanc pour nous demander pourquoi nous faisions cela. Il a eu la peur de
sa vie. Bons princes, nous l’avons laissé partir. Nous n’avons pas été décorés.
Après, c’est devenu plus
sérieux. Le 11 août 55 j’ai été nommé adjoint technique du paysannat à Collo et
le 20 août à midi, en allant de l’hôtel au restaurent, en short et chemisette
(le revolver et le fusil de chasse dans la voiture dans la cour de l’hôtel) je
me suis trouvé dans le soulèvement du Nord constantinois. J’ai vu d’assez près quelques
fellaghas qui n’ont pas tiré ! Comme il était impossible de circuler, deux
mois après, j’ai été muté dans un secteur calme… à Tabcat. Là, en quinze mois,
117 morts par embuscades (Sakamody et autres lieux). De la forêt et des
virages, j’avais bien mon pistolet et une mat 49 prêtée par la commune (devenue
sous préfecture) mais je changeais les amortisseurs de ma 203 tous les 8 ou
10 000 kilomètres.
En 58, j’ai été propulsé à
Djelfa, je suis devenu Ingénieur des travaux agricoles et j’ai pris ensuite la
Direction de la station d’élevage ovin de admit, entre Pjelfa et Laghouat (13
kilomètres de piste à partir de la nationale, deux oueds à traverser sans
ponts, téléphone coupé) trois couples d’européens, un peuple de bergers et
ouvriers cousins des oued naïls et une quinzaine de militaires pour la
sécurité. Pendant six mois, la force armée a été 100% musulmane…
D’octobre 61 à juillet 62,
j’étais à la station de Kroubs où l’indépendance nous a cueillis. Nous avons pu
embarquer à Bougie avec la voiture et la chienne loup, trois valises, la
machine à coudre et le transistor. J’ai dû laisser le pistolet en Algérie. Il
me manque encore.
En arrivant en France, en 62,
j’ai été nommé dans le Lot, département d’origine de mes grands parents
maternels. En 68, j’ai pu obtenir un poste à la DDA des Hautes Pyrénées
(département d’origine de mon père, né en France et arrivé en Algérie en 1922 à
Chabet Elameur, village natal de ma mère). En 1979, ayant été promu Ingénieur
Divisionnaire, j’ai été muté à la DDA des Pyrénées Atlantiques à Pau et j’ai
pris ma retraite en 1990. Nous habitons actuellement à Villefranque dans les
Hautes Pyrénées mais dans la plaine, alors que mon frère habite Sainte Marie de
Campan, lieu d’origine des Cheoux, dans la montagne.
Si j’ai cette maison avec
quelques terres et quelques bois, c’est grâce à mon séjour à Collo. Ayant vu le
soulèvement de 55 et les réactions qui ont suivi, j’ai, dès ce moment, été
convaincu que nous partirions d’Algérie. Aussi, l’été suivant, j’ai cherché
quelque chose et j’ai trouvé cette petite propriété pour à peu près le prix
d’une Peugeot 403 dont j’avais envie. J’ai été assez sage pour considérer que
ma 203 était encore bonne pour le service et j’ai acheté la ferme.
Je ne sais pas si tu vas
trouver quelque chose d’intéressant dans tout cela, mais j’ai au moins fait
preuve de bonne volonté.
Voici des adresses :
G. CHEOUX 192 bis rue
Vaugirard 75015 Paris
M. et Mme CHEOUX DAMAS André 65710
Sainte Marie de Campan
Je pourrais te donner les
adresses de Jean Louis Pallier ou de Jean Buatois mais tu dois les avoir. Ma
sœur a peut être l’adresse de Michelle Arrou.
Je finis un peu en vitesse car
demain, 24 juillet, je dois me faire opérer le canal carpien de la main droite
et je serai pendant quinze jours complètement impotent.
Avec ta cousine, je vous
félicite de votre courage pour entreprendre une telle affaire et à Valence
j’espère.